Des vaccins contre la dengue sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, mais les spécialistes de la santé publique travaillent déjà sur des stratégies de distribution afin de les mettre rapidement à disposition des personnes qui en ont le plus besoin. Un article de Gozde Zorlu et Fiona Fleck.
Pour M. Luiz Jacintho da Silva, Directeur de l’Initiative pour un vaccin contre la dengue, la propagation de cette maladie est extrêmement préoccupante. «Depuis quelques dizaines d’années, la maladie s’est propagée de façon spectaculaire», relève-t-il faisant observer en particulier le lourd tribut qu’elle prélève sur les populations urbaines pauvres vivant dans les bidonvilles d’Asie et d’Amérique latine.
La dengue, infection virale transmise par un moustique, provoque des symptômes d’allure grippale sévères mais peut également évoluer en fièvre hémorragique potentiellement mortelle. Elle est transmise principalement par le moustique Aedes aegypti, qui se reproduit dans des réceptacles d’eau tels que de vieux pneus, des boîtes de conserve ou des bidons. On estime que l’incidence de la maladie a été multipliée par 30 depuis 50 ans, et l’on compte à présent 50 millions de cas dans le monde chaque année.
La dengue étant causée par quatre virus distincts, mais sérologiquement liés, un vaccin efficace doit induire une réponse immunitaire protectrice contre les quatre virus simultanément. Dans le jargon de l’industrie, cela s’appelle un vaccin tétravalent. Jusqu’à présent, cette difficulté paraissait insurmontable, mais le laboratoire français Sanofi-Pasteur a annoncé cette année qu’il avait mis au point un vaccin tétravalent viable contre la dengue et que des essais de phase III étaient en cours en Australie.
Cela veut dire que dans le cadre d’essais plus réduits, le vaccin s’est montré capable de produire une réponse immunitaire et qu’il s’agit maintenant de confirmer ces résultats en démontrant une protection contre la maladie et en surveillant les effets secondaires dans un groupe plus important. «Le but est de mettre le vaccin contre la dengue à disposition dès 2015», estime Michael Watson, Vice-Président chargé de la politique mondiale de vaccination chez Sanofi-Pasteur.
Pour Joachim Hombach, chef par intérim de l’Initiative de l’OMS pour la recherche sur les vaccins, «par le passé, lorsque de nouveaux vaccins étaient mis au point, il fallait des années pour qu’ils parviennent aux habitants des pays en développement à grande échelle. Le vaccin contre l’hépatite B a mis plus de 10 ans et celui contre Haemophilus influenzae type b (HiB) a également mis longtemps, malgré une charge de morbidité élevée».
«Pour un futur vaccin contre la dengue, il faudra s’efforcer de reproduire ce qui a été fait avec les vaccins contre les rotavirus et les pneumococcies, pour lesquels le délai écoulé entre l’homologation et la distribution du vaccin dans les pays en développement avait été largement réduit», poursuit J. Hombach.
L’Initiative pour un vaccin contre la dengue, projet financé par la Fondation Bill Melinda Gates lancé en février dernier et dirigé par M. da Silva, s’efforce d’atteindre ce but. «Nous collaborons avec les programmes de santé publique, les fabricants de vaccins et les organisations internationales comme l’OMS pour faire en sorte que le vaccin contre la dengue puisse être rapidement mis sur le marché», souligne M. da Silva.
Sanofi-Pasteur est désireux de faire avancer les préparatifs en vue de la distribution du vaccin et, contrairement à la voie habituelle qui veut que les occidentaux nantis soient les premiers à bénéficier du vaccin et les populations d’endémie les dernières, souhaite que le vaccin soit distribué d’abord dans les pays d’endémie. Aussi louable que puisse être son intention, elle soulève plusieurs difficultés concernant la distribution, notamment du point de vue de l’offre et de la demande.
«Il n’y aura pas suffisamment de vaccins pour tous au départ», souligne M. da Silva. Cela veut dire qu’il faudra faire des choix difficiles et décider quelles populations en bénéficieront les premières.
Malheureusement, pour prendre ces décisions, Sanofi-Pasteur et ses partenaires ont besoin de données épidémiologiques qui, pour l’instant, ne sont pas disponibles. «Les données épidémiologiques disponibles, à quelques exceptions près, sont insuffisantes», déclare M. da Silva. «Elles sont à peine suffisantes pour procéder à des estimations prudentes concernant les politiques de vaccination.» Cela s’explique en partie parce que la dengue est une maladie qui tend à se fondre dans l’environnement. Toujours selon M. da Silva: «c’est une maladie qui donne facilement lieu à des erreurs de diagnostic car les symptômes cliniques qu’elle entraîne sont les mêmes que pour toute une série d’autres maladies infectieuses».
Le manque de données s’explique également par l’absence de surveillance de la maladie dans les pays d’endémie. Selon M. Ciro de Quadros, Vice-Président exécutif du Sabin Vaccine Institute, la situation de l'Afrique est particulièrement préoccupante à cet égard. «Aucun pays ne dispose de données parfaites sur la dengue», estime l’épidémiologiste de l’OMS en poste sur le terrain au Cambodge, Steve Bjorge, qui fait observer que la plupart des pays se fondent sur le diagnostic clinique, complété par des sondages sentinelles sur un petit nombre de cas pour le sérotypage en laboratoire. Alors que ces informations peuvent donner une idée de la gravité et de l’importance des maladies et nous renseigner sur les tendances dans le temps, elles sont insuffisantes pour une analyse épidémiologique détaillée.
Compte tenu des efforts et des fonds nécessaires pour lancer un programme de vaccination ciblé – sans parler d’une couverture complète – au niveau mondial, l’échantillonnage sentinelle ne suffit pas. M. da Silva pense qu’on pourrait parvenir à une meilleure notification en mettant à disposition de nouveaux tests diagnostiques rapides de la dengue sur le lieu des soins, mais cela représenterait un coût supplémentaire pour des systèmes de santé déjà sous-financés.
En raison des profils épidémiologiques différents de la dengue, il faudra également élaborer des indications pour la vaccination adaptées à chaque pays. «En Amérique latine, la dengue n’est pas répandue chez l’enfant», déclare J. Hombach, alors qu’elle l’est souvent dans d’autres régions, notamment en Asie. Lorsque la maladie n’est pas très répandue chez les enfants, il n’est pas aussi justifié de l’inclure dans le Programme élargi de vaccination (PEV), considéré comme le système de distribution évident. «Si le vaccin n’est pas distribué avec les vaccins du PEV, il faudra mettre au point un système de distribution différent», poursuit-il. Ces problèmes épidémiologiques ne sont pas les seules considérations. Il faut aussi régler des problèmes de réglementation complexes selon les pays et trouver des solutions de financement pour nombre de pays d’endémie à faible revenu.
M. Watson de Sanofi-Pasteur déclare être pleinement conscient de ces difficultés mais estime que c’est une raison de plus de commencer à réfléchir à la distribution dès maintenant. «Le temps qu’il nous reste avant la mise à disposition du vaccin est en réalité très très court et il y a encore beaucoup à faire», déclare-t-il. M. da Silva acquiesce. «Nous ne pouvons pas attendre que le vaccin soit disponible, nous devons agir immédiatement.» Mais quoi faire exactement? S’il existe un large consensus sur la nécessité d’une meilleure surveillance, lorsque l’on en vient aux questions complexes d’approbation réglementaire, ou d’un système de distribution et d’un calendrier, en l’absence d’un vaccin approuvé les problèmes sont plus difficiles à résoudre.
Pour M. Watson, le fait est qu’un vaccin sans programme de vaccination ne sert pas à grand-chose. Il rappelle les erreurs commises par le passé, lorsque des vaccins importants mettaient des années à parvenir aux personnes qui en avaient besoin. Mais l’on peut avancer l’argument contraire avec autant de force: comment peut-il y avoir un programme de vaccination sans vaccin, et pour l’instant – et pour au moins un ou deux ans encore – nous n’avons pas de vaccin. Pour J. Hombach: «le vaccin contre la dengue doit encore faire la preuve de son innocuité et de son efficacité». Après tout, il est déjà arrivé que des vaccins ne franchissent pas le cap des essais cliniques de phase III.
Une fois le vaccin contre la dengue disponible, la demande sera importante. Or, en termes d’économies de la santé publique, les dépenses à cet égard devront être justifiées. Pour J. Hombach: «la dengue représente un fardeau économique considérable, ce qui créera une forte demande de vaccins dans la population touchée. Mais par contre la maladie entraîne une mortalité relativement faible par rapport à d’autres comme le paludisme et le VIH/sida, ce qui explique que la dengue ne figure pas au premier rang des priorités pour la communauté mondiale de la santé publique».
C’est pourquoi M. de Quadros déclare que le Sabin Institute se concentrera sur «l’aspect communication sociale afin de sensibiliser la population comme les décideurs à l’importance de l’utilisation du vaccin, une fois qu’il sera disponible».
Comme M. Watson, M. Hombach est soucieux de voir tirer les enseignements des erreurs passées et estime que la manière la plus évidente de le faire est d’éviter toute confusion et tout faux départ. «L’introduction du vaccin représente pour les pays un engagement important», estime M. Hombach. «Et une fois le choix fait, il est définitif. Vous ne pouvez pas l’adopter une année et l’abandonner la suivante.» M. Hombach n’est pas non plus entièrement convaincu que la dengue sera l’objet des prochains efforts d’envergure. «On ne sait pas très bien si la prochaine maladie à prévention vaccinale sera la dengue ou le paludisme», déclare-t-il. «À l’heure actuelle, les deux vaccins sont au coude à coude. Un vaccin contre le paludisme à falciparum est en cours de mise au point et pourrait être autorisé autour de 2015.»
SOURCE : OMS
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